Bientôt un ophtalmologue pour 100.000 habitants en province de Luxembourg: le combat du docteur Mélanie Lampe contre un désert médical

12/02/2023

Dans dix ans, la province de Luxembourg pourrait compter sur 1,38 ophtalmologue pour une population de 100.000 habitants. Une situation intenable pour le Dr Mélanie Lampe, qui a décidé de se battre et de ne pas céder aux sirènes du Grand-Duché.L'appel à l'aide du médecin récolte déjà ses fruits. - D.R.Par Nicolas DekimpeChef d'édition de La Meuse LuxembourgPublié le 09/02/2023 à 05:00

Mélanie Lampe est originaire de Mouscron. Installée depuis sept ans à Fauvillers, après avoir pratiqué durant dix ans à Bruxelles, l'ophtalmologue n'a pas l'intention que sa province d'adoption devienne (encore plus) un désert médical. Pétition (Petition · Un désert médical en Belgique · Change.org), tapage médiatique, ce médecin se bat pour alerter sur la situation des ophtalmologues en province de Luxembourg.

Actuellement, notre territoire compte 4,4 ophtalmos pour 100.000 habitants. Une situation jugée déjà très difficile, et qui pourrait carrément devenir impossible dans un futur proche puisqu'il ne resterait plus qu'un ophtalmologue pour 100.000 habitants. Un rôle qui serait alors trop lourd à porter pour une jeune femme pleine de valeurs et qui veut tout faire pour ne pas devoir franchir la frontière.

Le déclic ? Le décès du docteur Honoré

Il y a un an, le docteur Honoré, ophtalmologue bien connue du sud de la province, nous quittait. « Lors de son décès, tous ses patients ont cherché à se tourner vers un autre spécialiste, dont moi. Le problème, c'est que j'ai déjà 18 mois de délai dans mon agenda. Face à ces demandes, je me suis posé la question du futur de nos patients en province de Luxembourg. J'ai regardé autour de moi et j'ai vu beaucoup de collègues approchant du départ à la retraite ou d'autres qui ont déjà repoussé l'échéance depuis bien longtemps, car ils n'osent pas abandonner leur patient. J'ai alors réalisé que je risquais dans un futur proche de me retrouver seule. Une situation intenable », explique la Mouscronnoise. « Je sais aussi que ma spécialité n'est pas la seule touchée puisqu'il n'y a, par exemple, plus de neurologue aux urgences de l'hôpital d'Arlon. Idem pour les dentistes. »

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La Luxembourgeoise d'adoption a alors troqué son costume de médecin pour endosser celui de Don Quichotte et partir au combat. Son combat est noble et les valeurs qu'elles portent sont encore plus belles. « Un médecin, c'est quelque part un faux indépendant de l'Etat. Il est redevable envers celui qui paye son salaire mais aussi envers ses patients. Dans ma profession, on ne doit pas exercer pour faire de l'argent, mais on doit être porté par les valeurs de santé et par notre serment d'Hippocrate. De mon côté, je ne viens pas d'une famille aisée. Ce que je perçois grâce à mon métier me permet largement de subvenir à mes besoins et de m'offrir une belle qualité de vie. »

« Une prime ne fonctionnerait pas »

Selon Mélanie Lampe, la solution qui consisterait à proposer une prime à de futurs confrères serait improductive. « Pourquoi un médecin se déplacerait jusqu'à la province de Luxembourg pour toucher une fois un incitant financier alors qu'en parcourant quelques kilomètres supplémentaires, ils toucheraient tous les mois bien plus d'argent au Grand-Duché ? »

Sa solution ? Ce serait de sensibiliser les futurs et jeunes médecins sur l'importance des soins de santé en milieux ruraux. Selon le docteur Lampe, il faudrait également imposer quelques contraintes. « Pharmaciens, notaires, policiers, etc. connaissent ce type de contraintes. On imposerait ceci uniquement aux futurs étudiants qui seraient préalablement avertis. On pourrait imaginer l'obligation après les études d'exercer deux années dans une région en pénurie. Une autre contrainte serait de réaliser un cadastre des besoins et d'envoyer des médecins en priorité dans les zones qui en ont le plus besoin. »

Une mesure qui pourrait, selon elle, porter ses fruits. « Vu le nombre d'étudiants qui veulent faire la médecine, même si la mesure en décourage quelques-uns, ils seront toujours suffisamment nombreux à tenter ces belles études. De plus, la mesure n'impose pas au médecin de vivre en zone de pénurie ! Vu la taille de notre pays, le médecin peut uniquement venir y travailler. Il y a beaucoup de gens qui font une heure de route pour aller travailler. »

Aucun regret

Au-delà de tous ces incitants et autres contraintes, le docteur Lampe a aussi envie de faire la lumière sur les avantages qu'offre la province de Luxembourg. « Ce qu'on cherchait en s'installant dans la région, c'est une qualité de vie. Au-delà de cela, j'ai découvert également les qualités humaines des Luxembourgeois. J'ai une patientèle exceptionnelle et qui est bien différente de ce que j'ai connu dans la capitale. »

Mélanie Lampe ne compte pas ses heures pour son métier. Mais sa profession, elle ne veut pas la vivre comme un sacerdoce. « Je veux profiter de la nature qui m'entoure, et surtout de ma famille. Je sais qu'il m'est impossible d'accepter toutes les demandes. Je vis avec ce constat et j'ai adapté mon horaire aussi en fonction de mes besoins. Les mercredis après-midi sont dédiés à mes enfants. »

La Mouscronnoise espère bien exercer toute sa carrière en province de Luxembourg. « Si je me retrouve être la seule ophtalmologue, je n'aurais pas d'autre choix que de partir vers le Grand-Duché. Je ne veux pas de ce choix. Je vais donc continuer à me battre et mes efforts commencent à payer. En effet, un spécialiste de Nivelles m'a confié son intérêt de venir nous rejoindre. »

LA RETRAITE ? PAS QUESTION !

"Tous les ans, j'écris aux Universités "   

La retraite attendra. « Je n'ai pas envie d'y songer. D'abord parce que je suis en bonne santé. Ensuite, j'ai la chance d'avoir une bonne résistance au travail. Et puis j'ai un mari qui a terminé sa carrière et qui peut s'occuper des courses », sourit la médecin installée à Arlon. Ce qui retient Chantal Debaty c'est aussi, et surtout, qu'elle aime ce qu'elle fait. « J'aime mon travail. J'aime mes patients. J'ai la chance d'avoir une bonne patientèle. J'ai envie de pouvoir les suivre. Malheureusement, si on veut continuer à assurer les meilleurs services, il n'est plus possible d'accepter de nouveaux patients. Le mercredi après-midi, je le réserve systématiquement pour les enfants. Ils sont de plus en plus nombreux à souffrir de problèmes de vue à cause des écrans. Je ne veux pas qu'ils aient des difficultés à l'école à cause de cela. Donc depuis longtemps, je réserve une partie de mon agenda aux jeunes patients. Et puis, il y a aussi les patients qu'on doit suivre au minimum une fois par an ou plus pour diverses raisons- . Quand je suis sollicitée par des nouvelles personnes, j'ai du mal à dire non. Mais on ne sait plus suivre. On est alors obligé de les diriger vers le Grand-Duché. » Des appels à l'aide La pression sur les ophtalmologues luxembourgeois n'a fait que croître au fur et à mesure des années. « On ne sait pas faire mieux, mais nos délais sont indécents. Quand je vois ce qu'on annonce pour le futur, j'ai des craintes pour mes patients. Il est temps de secouer nos responsables pour trouver des solutions concrètes à un problème qu'on dénonce depuis des années. » La médecin a multiplié les appels à l'aide. « Tous les ans, j'écris à nos universités francophones pour sensibiliser leurs étudiants à nos problèmes. Je viens encore d'envoyer un mail de détresse. Il y a d'excellents patients, du bon matériel et d'excellentes raisons de venir s'installer en province de Luxembourg. » Chantal Debaty plaide pour qu'on établisse un cadastre. « Plus que des discours, il faut des actes pour un problème connu depuis des années et qui ne cesse d'empirer. Quant à moi, je veux continuer à faire mon activité. Pas question d'arrêter, mais je pourrais envisager de diminuer mon activité. » 


Une question posée au Ministre

Benoit Piedboeuf, député fédéral, est bien conscient de la problématique. « Cette situation est la même pour les dentistes. Une question a été posée au ministre de la santé. Je l'ai interrogé sur la possibilité de moduler les numéros INAMI », explique le président du MR Luxembourg. Conscient des difficultés d'intervenir dans des choix individuels, Benoit Piedboeuf s'empare néanmoins du combat. « Il faut créer des incitants et tenter d'attirer les jeunes dans des zones rurales. Il faudrait réfléchir à une meilleure répartition géographique des médecins et des spécialistes pour le bien commun.